Chapitre VII - Partie de chasse

Cela faisait bien deux mois que j'avais commencé à travailler pour Seb. Contrairement à ce que je pensais, la traite d'informations était aussi passionnante que la collecte. Et aussi éreintante. La nuit venue, je n'avais plus aucun mal à me glisser rapidement dans le lit pour profiter de ses bras quelques temps avant de m'endormir. Parfois il nous arrivait de manger ensembles après avoir assister à un de ces looongs conseils dont je ne voyais pas l'intérêt. Dans ces moments-là, il était dur pour de ne pas le toucher, lui prendre la main, le serrer contre moi. Mais en dehors de ça, j'arrivais à maîtriser mes sentiments. D'ailleurs, je n'avais plus fait de cauchemars depuis mon arrivée.
Un jour seulement, Seb avait voulu savoir s'il nous étions vraiment obligés de tuer les humains. Au lieu de tout simplement lui répondre, je lui avais donné rendez-vous à Barcelone pour la pleine lune. C'est d'ailleurs sur la place principale de la ville que je l'attendais, mains sur les hanches. Il était encore une fois en retard de cinq minutes.

Il était vraiment dur de ne pas rire devant son accoutrement du siècle dernier... Mais passons. Je lui servis un petit sourire pour montrer que ce n'avait pas d'importance puis lui fis signe de me suivre. Je me mis à déambuler entre les rues droites et perpendiculaires de la ville. A première vue, il devait penser que je ne savais pas où j'allais et il était vrai que toutes les rues se ressemblaient. Mais je suivais mon odorat en jetant de rapides coups d'oeils au Stunder qui nous suivait. Qu'est-ce qu'un individu louche comme lui faisait là ? Qu'il chasse un soir de pleine lune n'avait rien d'anormal, mais s'il pouvait éviter de nous suivre...
Enfin, j'arrivais face à grand hôpital. Je m'assis devant, prenant mes pupilles d'or pour améliorer ma vision nocturne. C'était déjà dur de maintenir ma forme humaine en ce moment, alors il fallait que je fasse très attention à être dans les temps. Je fis signe à Seb de s'asseoir à côté de moi.

- Vous voyez la seule fenêtre allumée au sixième étage ? Un homme est en train d'y mourir de maladie. Dans moins d'une heure ses proches et les médecins auront quitté la pièce. A ce moment-là, on montera dans la pièce. Je suppose que je n'ai pas besoin de vous dire qu'il faut se faire discret. En plus, un autre loup-garou nous suit.

Il s'était arrêté au coin de la rue, mais il faisait les cent pas. Il n'était pas là pour la chasse ?

Je posai une main sur son bras, fixant toujours la fenêtre.

- Inutile. On évitera toute effusion de sang voulez-vous.

En haut, la lumière venait de s'éteindre. Je repris mes yeux normaux et j'entrais dans l'hôtel. La dame d'accueil étant au téléphone, personne ne fit attention à nous. Je grimpai les escaliers quatre à quatre jusqu'au cinquième où je ralentis l'allure. Tendant l'oreille, je m'assurai d'une part que plus personne n'était présent en haut, et que l'autre ne nous suivait plus. Malheureusement, j'entendais toujours ce Stunder respirer.
Espérant que Seb n'allait pas mettre ses plans sanguinolents à exécution, je montai à l’étage et m'introduisis dans la chambre du patient. Son électrocardiogramme était débranché, signe qu'il était déjà mort depuis un temps.

- L'origine de la guerre entre Vampires et Loups-Garous tient dans le fait que nous devons manger le coeur d'une personne, déjà morte. Eux ne peuvent boire le sang que d'être vivants.

J'enlevai la chemise du mort et posai une griffe sur sa poitrine.

- Depuis le début de la guerre, nous nous sommes un peu mieux organisés. Nous évitons tous morts inutiles : des personnes sont chargées de nous transmettre l'adresse des mourants et autres détails. Lorsqu'ils sont morts, nous leur volons leur coeur.

En disant cela, j'avais ouvert la poitrine du pauvre homme. Lui sectionnant les artères qui retenaient son coeur, je pris celui-ci et le plaça dans une petite boîte décorée de mosaïques. Je léchai ensuite la plaie sur son torse, qui se referma comme par magie.

- Il est très rare qu'on se rende compte de quelques choses. Maintenant, il ne reste plus qu'à trouver un endroit en sécurité pour manger.

Seb avait un visage pour le moins inhabituel. Je ne voyais vraiment quelle émotion il ressentait, mais ce n'était sûrement pas de la joie...

Je le regardai, sans comprendre. Ce qui venait de se passer était choquant, mais sa colère l'était encore plus. Cependant, je gardais mon calme.

- Ben oui. Qu'est-ce que tu croyais ? Combien de fois devrais-je te dire que nous sommes des créatures de l'ombre ?

Je soupirai. Ses yeux témoignaient de la fureur meurtrière qui l'habitait : dans ces moments-là, aucun être ne peut être raisonné. Autrement dit, quoique je puisse avancer comme argument, je perdais mon temps. Je lui fis quand même signe de baisser d'un ton.

- Contrairement aux Anges ou aux Fées, notre âme n'est pas faite de lumière. Nous sommes affiliés au Mal, nous sommes les enfants du Diable. Tu le sais bien pourtant, tu m'as vu sous ma forme laide, tu m'as vu tuer un ange de sang froid. Tu vas continuer à te voiler la face ? Tu le savais depuis le début, que j'étais un démon à ton service.

Inutile d'en dire plus. Mon corps rayonna un instant d'un éclat d'or puis je disparu aux yeux des humains. Je redescendis seule et sortis de l'hôpital sans me faire voir par personne. Me perdant au hasard des rues, je finis par déboucher sur un petit parc vide. A l'ombre, je m'assis pour dévorer mon dû.

- Merci pour le repas, fis-je en regardant les étoiles.

Je venais de l'entendre. Il n'était pas loin. Je finis mon coeur à la hâte puis je me relevai. Le sentant proche, je passai une main dans mes cheveux qui s'allongèrent et s'éclaircirent, tout comme mes yeux et ma peau. Mes vêtements changèrent à leur tour. J'avais pris l'apparence de Cae. Histoire de dignité : je refusais de me faire lacérer pas l'homme que j'aime.
Je le vis arriver, son épée à la main. Celle d'Al était un bâtonnet de faire à côté de celle de Seb. Encore un bon point pour le corps de Cae : il se régénérerait plus vite et j'aller en avoir besoin. Heureusement qu'à cette heure-ci les rues étaient vides...
Me promettant de ne pas émettre un son malgré la douleur, je mis un genoux en terre, face à mon maître.

- J'accepte le châtiment, quel qu'il soit.

Je le regardai dans les yeux. Toujours autant de haine. La haine dans les yeux des Vampires, la haine dans les yeux des Humains, la haine de tous. Si seulement j'avais pu fermer les yeux et me dire que cet amour n'allait se finir en bain... Et puis je sentis son épée contre ma peau.

Je ne détachais pas mon regard du sien. Je m'empreignais de la haine qui découlait de ses yeux, de ses coups, de son être. Tout en lui montrait que je le répugnais. Oui, il n'avait plus rien à voir avec celui qui m'avait pris dans ses bras il y avait des mois de cela. Là, dans ce mur, avec cette lame qui allait encore me trancher la peau ou pire, je savais qu'il me haïssait. Un maigre sourire naquit sur son visage. Je ne le tuerais pas, il me tuerait avant. Alors, je pouvais mourir sans problème.
Une décharge électrique me parcourue lorsque sa lame me frappa. De plein fouet, je précise. Mais je ressentis à peine une morsure de taon au fond de mon coeur, comme si une voix essayait de sortir. La voix de qui ? Ceux que j'avais tué, Vassago, Marie, Lila ? Ou tout autre personne ayant quelque chose à me reprocher ?
Une deuxième décharge, un peu moins forte. Mais toujours rien, juste une vision de ma mère pleurant et souffrant alors qu'on annonçait l'arrivée de la deuxième jumelle. La naissance de deux jumelles ? Ce devait être ma naissance alors.
Encore un courant électrique. Lila, le coeur arraché. Marie, une balle en argent dans la tête. Al me tranchant la tête avec son épée. Vassago brûlant le pacte.
Et puis, une ultime décharge. Mais aucune vision ne l'accompagnait. Je voyais juste les yeux de Seb, révulsés par la haine. Et puis plus rien.
J'étais par terre. Mon sang se répandait partout. Je revoyais cette scène dans mon rêve. Je n'arrivais plus à bouger. J'entendais les pas de Seb s'éloigner. Alors, je posai une main par terre. L'apparence de Cae fuit en un millier de papillon d'or. Au prix d'un immense effort, je passai sous une forme animale et j'allai, boitillant, rejoindre mon maître.

J'avais bien du mal à le suivre. Mais il était facile de savoir où il allait, il aspirait toute lumière derrière lui. J'exagérais à peine. A vrai dire, je le suivais surtout pour le protéger de ce qu'il pourrait faire dans cet état. Qu'il tue le premier passant, ça me passer par dessus la tête. Mais les êtres bons étaient plus sensibles aux sentiments et avaient plus de pouvoir que les humains. Ce qui les rendaient plus dangereux pour les autres et pour eux-mêmes.
Je n'avais jamais compris pourquoi la sensibilité était plus forte lorsque la race se rapprochait de Dieu. Est-ce que la raison augmentait quand on était proche du Diable ? Ce serait si drôle, mais c'était sûrement faux... Et encore une fois, l'humain était le juste mieux.
Je regardai Seb, attendant de voir ce qu'il allait faire. Quand le Stundeur se jeta sur moi et essaya de me trancher la gorge.

J'ai... Tout compris. Tout a mis trente secondes à affluer à mon cerveau, et puis tout est devenu clair. Ce devait sa mère ou sa petite amie pour parler comme ça. Et donc.
Seb me haïssait car il s'était trompé sur ma nature. Le Stundeur, idiot, m'avait pris pour proie et voulait me manger. Mais maintenant il était mort car la mère, ou la petite amie de mon maître, l'avait ben tué.

- Bonjour Mademoiselle, dis-je en m'inclinant sous ma forme humaine. Mon maître est choqué par ma nature, et il me semble qu'il a été répudié d'un conseil, sûrement le conseil de guerre. Puis-je lui venir en aide ou dois-je vous laisser faire ?

Je n'aimais être appelée la soumise. Même au service de Lila, les gens ne me parlaient pas ou m'estimaient un peu. Merde quoi, c'est pas parce que je suis au service d'un type que je ne suis que ça...

Je bondis sans attendre un autre commentaire désobligent. Calme, toute personne inquiète peu devenir vulgaire. Et si elle me traitait naturellement comme une moins que rien, j'aurais le temps de la désosser plus tard. Pour le moment, l'objectif était de ralentir Seb.
Je le rattrapai avec difficulté. Mon corps, sous sa forme hybride, était en parfait état, mais une curieuse douleur sciait ma poitrine. il fallait que je connaisse la nature de son attaque car même les visions ne devraient pas me causer autant de douleurs. Sauf peut-être...
Il était là, à quelques pas de moi. Sans attendre, je lui sautai à la gorge, enfonçant mes griffes et mes crocs dans sa chaire. Aucune réaction. Je le lâchai quelques secondes, le temps de prendre Leochain et d'appuyer sur le bouton en haut du pommeau. La lame se nerva d'un liquide violacé. Je n'attendis pas plus longtemps pour l'enfoncer dans sa chaire. Même pas un regard à sa plaie. Voir même, le poison ressortait dans son sang au lieu de rester dans son organisme. Que faire ? La dame m'avait dit de gagnait du temps, mais combien ? Qu'est-ce que je détestais ces ordres imprécis...
Je l'entourai de mes bras et le serrai fort, plantant mes ergots dans le sol. Puis j'ai crié.

- Vous voulez nous exterminer non ? Vous voulez tout détruire ? La bonne blague, essayez déjà de me détruire moi !

Je pensai une dernière fois à Lila. J'aurais vécu une belle part de ma vie à ses côtés. Dommage que tout doivent s'arrêter ici.

Je regardais. Il ne restait plus rien de lui qu'une trace de givre sur le sol. Je ne savais pas où étais passée la femme de tout à l'heure. Je n'avais pas ma clef sur moi, j'allais devoir utiliser les pouvoirs de Cae si je voulais rentrer.
Rentrer, mais où ? Seb m'avait clairement fait entendre qu'il ne voulait plus me voir. Je restais à son service jusqu'à nouvel ordre, mais qui sait combien de temps cela allait encore durer. Au manoir des Philiane, je serais accueillie par Al qui me reprocherait mon échec. Et peut-être Lucas, qui me rappellerait à quel point les sentiments sont inutiles avec son regard hautain, avant de s'allonger avec moi. Lila, je ne savais pas où elle se trouvait. Chez Cae il y avait Vassago.
Il me suffisait de rester là. Avec un peu de chance, j'allais me faire attraper pas un Sang Pur et tuer dans l'heure.