Chapitre VI - Une chaude nuit dans les terres froides

La chambre était grande sans être trop étendue, on pouvait sentir la chaleur de la pièce sans avoir une sensation d'étouffement en entrant, le mobilier était froid sans être inhospitalier... J'avais très envie d'aller me rouler dans la neige sous ma forme de renard, dans le froid à côté de cet endroit chaud. Les conventions sociales, je vous jure. Je me permis quand même de reprendre une forme un peu moins humaine histoire de pouvoir me détendre un peu.
Lorsqu'il se déshabilla, je ressenti deux choses : la faim et l'admiration. Tant de cicatrices, c'était tant de sang coulé, que j'aurais pu boire. J'avais l'impression qu'en caressant une blessure avec ma griffe, elle se réouvrirait dans un torrent de nectar rouge. Mais encore une fois, les conventions sociales, et l'instinct de survie, m'en empêchaient. Secondement, ce lui donnait l'air plus guerrier que jamais : un torse musclé, des cicatrices profondes, et l'air de s'en foutre comme de sa première chaussette. Vu comme ça, près de la neige, sous la lune, il était vraiment beau. Et la sorte de tatouage sur son dos dégageait une impression de puissante magie. Vraiment fascinant.

- J'aurais vu pire, fis-je en me déshabillant totalement.

Ma peau était totalement lisse à côté de la sienne. Si on exceptait un grand nombre de bleus répartis un peu partout. Je l'adorais, cette collection de bleus.

Je le laissais s'allonger, avant de faire lentement disparaître mes traits humains.

- Si c'est ce que vous préférez... Pour ma part, il est plus agréable des prendre une forme hybride.  La forme humaine n'est qu'une couche de mensonges gluants et grattant pour ma vraie peau.

Sur ce, j'avançais à petits pas rapides dans le lit. Tout était doux et chaud, et il y avait beaucoup de place. Je me roulai sur moi-même et fermai les yeux, laissant sortir mes moustaches pour mieux sentir le confort de l'endroit.

- Si vous n'avez plus besoin de moi... Bonne nuit maître.

Maître ne rendait pas pareil que Mademoiselle... loin de là. C'était vraiment une autre histoire qui prenait source ici. J'espérai au fond de moi qu'elle se conclurait elle aussi sur une amitié fraternelle qui souderait nos deux peuples. Ou les rapprocherait tout du moins...

J'allais répliquer qu'il avait encore mal compris, lorsque ses bras m'entourèrent. Je me retins difficilement de ne pas lui lacérer le visage. Je répondis en serrant les dents.

- C'est de mon apparence humaine que je parlais, pas des humains.

Je ne devais lui faire mal. Même un peu. Il fallait me retenir. Je soufflai longuement pour me calmer, en repensant au contact de la neige. Heureusement que les picotements à son contact avaient cess- Je n'ai rien dis. Mais il me fallait bien répondre à son compliment, aussi je me resserrai encore sur moi-même.

- Merci...

Il riait de moi et me prenait de haut, mais il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose qui picotait comme ses doigts, mais depuis l'intérieur. J'avais envie que ça s'arrête tout de suite, mais je ne pouvais laisser ça sans savoir ce que c'était.
Mettons mes sens de côté pour le moment. Si c'était ma peau qu'il voulait... Je repris forme humaine, cachant ma queue autant que possible, et j'essayai de coller ma peau à la sienne. Je gardai les yeux fermés, n'osant ni répondre ni bouger.

J'attendis quelques instants, puis je me libérai de ses bras pour sauter hors du lit, j'ouvris grand la porte qui conduisait à la terrasse et me jetai dans la neige en prenant ma forme animale. Je roulai dedans, poussant de petit glapissements joyeux. Je voyais d'ici son regard mi-moqueur, mi-attendri, mais je n'étais plus à ça près. Après m'être bien trempée, je rentrai à l'intérieur et refermai la porte d'un coup de patte.
M'installant confortablement devant la cheminée, je me laissais sécher pendant quelques instants. Une fois légèrement réchauffée, je m'ébrouai de la façon la moins polie possible, puis je repris une forme hybride avant de me rouler en boule sous les couvertures. Je m'approchai inconsciemment de la seule source de chaleur présente dans le lit : Sébastien.
J'étais parcourue par cette sensation d'étranges fourmillements, mais je n'y prêtais plus attention.

- Là je suis bien, à ton tour de te mettre à l'aise.

Je l'avais tutoyé... Tant pis, il s'en remettra.

Son geste de me frapper pour me caresser ensuite représentait très bien là façon dont il me traitait. Je n'aimais ni être malmenée, ni être spécialement choyée, mais j'allais visiblement devoir m'y habituer. J'essayai de ne pas trop tiquer au contact de sa peau, ce qui marcha bien.

- Désolée... Vous voudriez que je vous appelle comment ?

Il fallait que l'appeler ainsi me dérangeait un peu...

Je secouai la queue énergiquement.

- Je vois... Notre soumission au chef est ancrée dans nos gênes, alors il me faudra un temps d'adaptation. Et évitez de toucher ma queue, c'est sensible...

Je laissai tout de même sa main dessus. Il fallait que je sache. Parce que cette sensation, je l'avais ressentie. Il y a quatre cents quatorze ans de cela. Lorsque j'étais, comme appellent-ils ça déjà déjà ? C'est un sentiment classé dans les plus forts des positifs. Ah oui, l'amour. Lorsque j'étais amoureuse.
Je me serrai un peu plus à lui pour profiter de cette sensation. Maintenant que je savais ce que c'était, ce n'avait plus rien de désagréable. Mais dans l'instant, il me fallait que je dorme. Beaucoup de choses m'attendaient dans les jours à venir, bien plus important qu'un sentiment.

- Alors, bonne nuit Seb.

Je fermai à nouveau les yeux, sans toutefois trouver instantanément le sommeil.

Doucement, je me sentis tomber dans un profond sommeil.

Toute ma famille était là, même Saev et Aura. Ils me regardaient mal, comme s'ils avaient envie de me tuer. Al s'avança, sa longue épée à la main et se mit à parler.
C'est ce que tu voulais ? L'aimer et te soumettre encore plus ? Annihiler notre race ? Tu l'aimes ? Tu as faim ?
Et il me planta l'épée dans le dos. Tous s'en allèrent. Mon sang se répandit rapidement dans la pièce, grimpa sur les mur, imbiba les tapis, m'étouffa. Je sentais partir. L'épée m'empêchait de bouger.
J'arrivai enfin à rouler mon corps sur un tapis moelleux pour me reposer. Vassago me faisait face. Et devant Vassago, il y avait cet homme. Il n'avait pas changer : toujours ces courts cheveux argents en bataille, ces yeux bleus qui fixaient le ciel, son visage triste à l'air serein. Mais une large tâche rouge couvrait sa poitrine. Pas mon sang, le sien. Il finit par tombait à terre, exsangue. Les lèvres de Vassago se mirent à bouger.
J'aime Cae. Elle ne m'aime pas. Tu l'aimais. Il t'aimait. Tu l'as tuer. Tu veux aimer encore ? Tu veux le tuer ?
Et soudain les crocs de Lila se plantèrent dans mon cou.

Je me réveillai en sueur dans les bras de Seb. Sa main était toujours sur ma queue. Ses yeux étaient fermés mais je ne savais pas s'il dormait. Je respirai fortement avant de me rallonger. J'étais morte de peur. J'avais réussi à sceller mes souvenirs en rapport avec cet homme, alors pourquoi ressortaient-ils maintenant ?
J'entendis Seb bouger.

N'y avait-il pas de danger ? S'il me prenait dans ses bras, si son corps se collait au mien, si ses mots m'apaisaient, n'y avait-il pas de danger à ce que je le tue ? Dans l'instant, j'avais juste envie de laisser tomber ma tête sur son épaule et de me rendormir. Il me voyait comme une petite soeur, alors il n'y avait aucun mal à cela. Et puis, il était plus fort qu'un humain, il saurait me maîtriser si je cherchais à lui faire du mal.
Alors, je le poussai un peu pour qu'il se rallonge. Je me remis bien contre lui, sentant mon corps se calmer en sa présence.

- Merci... murmurai-je avant de me rendormir.

Mais pourquoi il fallait toujours qu'il casse tout ? Je me sentais parfaitement à l'aise là, détendue après ces horribles visions, et il me traitait de poulet. Je vous jure, les hommes...

- Bonne nuit, gentil matou.

A mon tour de me moquer de lui, vu qu'il avait prit ses traits de loup. J'enroulai ma queue autour de la sienne pour qu'elles se retrouvent étroitement serrées. Et puis je m'endormis pour un sommeil sans rêve.